La recherche en foresterie urbaine : Perspective sociale

Tree Canada
Dr. Adrina C. Bardekjian, MFC, PhD, Urban Forestry, Program Manager
Dr. Adrina C. Bardekjian, MFC, PhD, foresterie urbaine, gestionnaire de programme

La recherche en foresterie urbaine a été généralement classée en deux catégories : les sciences biophysiques et appliquées et les sciences sociales. Du côté des sciences biophysiques et appliquées, nous avons les dangers et les maladies, comme la maladie hollandaise de l’orme, l’agrile du frêne, les services des écosystèmes (bienfaits et valeurs) ainsi que l’adaptation climatique. Du côté des sciences sociales, nous avons les dimensions humaines, comme les éléments du langage, l’inégalité d’accès aux espaces verts et les interventions créatives. Les discours dominants en foresterie urbaine portent sur son écologie, sa gestion et son utilisation par le public.

Les points discutés comprennent, entre autres :

la planification adaptative de la forêt urbaine
l’évaluation économique
l’infrastructure verte
les mandats de plantation, et 
la modélisation (comme le SIG et la télédétection)

On porte moins d’attention à des points comme le langage, l’inégalité, la création artistique et comment la participation civique et sociale influence et joue un rôle important dans les processus de planification et d’élaboration de politiques (Sandberg, Bardekjian et Butt, 2014).

York University
Photo : Adrina C. Bardekjian, campus de l’Université York, Toronto (Ontario)

Dans mon premier article de ce blogue, j’ai mentionné que la recherche prenait de l’expansion pour inclure des sujets marginaux; ce deuxième article est une introduction à la recherche qui est effectuée dans ces domaines et qui explore les thèmes de la justice environnementale et sociale. Tel que présenté le 6 novembre dernier à la conférence annuelle de l’Ontario Urban Forest Council, je vais fournir ici quatre exemples.

1Mon premier exemple vise l’accès et la répartition. La recherche a montré la distinction entre l’écologie dans la ville et l’écologie de la ville, qui appuie la notion  que les forêts urbaines sont des systèmes socio-écologiques – en géographie sociale et en écologie politique, on appelle ce concept le métabolisme (Heynen, Kaika et Swyngedouw, 2006) – et examine comment nous utilisons et apprécions le monde urbain qui nous entoure. La recherche en foresterie urbaine a mis l’accent sur le fait que nous avons besoin de porter plus d’attention à la question de justice et de la nature dans la ville (Bickerstaff, Bulkeley et Painter, 2009), des droits des citoyens et de l’accès à la nature urbaine (Whitehead, 2009), de l’injustice en matière d’espaces verts et de propriété (Heynen et Perkins, 2005; Heynen, Perkins et Roy, 2006), et des bienfaits contestés des espèces envahissantes (Foster et Sandberg, 2004).

Certaines tendances récentes dans la recherche comprennent :

la cartographie – de la répartition du couvert forestier et sa comparaison avec le statut socio-économique dans divers quartiers

la contestation des diverses façons dont la foresterie urbaine est pratiquée et perçue – comme l’examen du processus d’élaboration de plans de gestion des forêts urbaines

les débats sur la nature/société – comme le problème que nous avons à nous identifier comme faisant partie ou étant à part du monde naturel

la notion d’entretenir des espaces pour que le public puisse les utiliser – comme le rôle des arboreta pour encourager l’éducation écologique urbaine

2Mon deuxième exemple porte sur l’agriculture urbaine. Avec l’accroissement du nombre de jardins communautaires, ces activités sont de plus en plus mentionnées dans la littérature sur la foresterie urbaine. Il est donc important de réfléchir à comment ceci est lié à la justice sociale. En juin 2014, je visitais un quartier défavorisé avec un collègue dans Vancouver Est pour célébrer un événement de plantation récent. Un groupe d’entre nous se tenaient à côté d’un semis nouvellement planté et discutaient de sa viabilité lorsqu’un homme est sorti d’une clinique de traitement de maintien à la méthadone de l’autre côté de la rue et s’est dirigé vers nous en gesticulant. Une fois près de nous, il a déclaré : « J’adore les arbres. »

Hug me tree
Photo : Adrina C. Bardekjian, rue Queen ouest, Toronto (Ontario)

Il a pris une feuille dans sa main et l’a caressée, puis il a ajouté : « J’aimerais bien que ce soit un pommier. » Il nous a tous regardés lentement avant de partir. Ceci nous a fait réfléchir davantage aux essences que nous plantons; du point de vue de l’écologie et de la gestion, ceci a des répercussions sur leur entretien (comme la gestion des ravageurs par exemple) mais cette expérience nous a fait penser à l’accès à des aliments dans des lieux publics (Heynen, Kurtz et Trauger, 2012) ainsi qu’à la production et à l’utilisation d’un paysage comestible (McLain, Poe, Hurley, Lecompte-Mastenbrook et Emery, 2012) et à la responsabilité que nous pourrions avoir, en tant qu’intendant des espaces verts urbains, de fournir des arbres comestibles lorsque cela est possible. Ceci fait partie d’une question plus vaste et sous-représentée visant la présence et l’utilisation de produits forestiers urbains non ligneux (Poe, McLain, Emery et Hurley, 2013).

3Mon troisième exemple vise l’agence et les incidences – nos sentiments envers les arbres et pourquoi c’est important. Ceci tient compte de la nature non humaine en tant qu’acteur (Jones et Cloke, 2002); en foresterie urbaine, une telle agence comprend des éléments écologiques – comme les espèces envahissantes, la sénescence des arbres, les ravageurs et les maladies. Ces éléments créent des cheminements imprévus dans le cadre desquels les êtres humains visualisent l’environnement urbain – les êtres humains font partie du monde naturel et ne sont pas séparés de celui-ci (Peet et Watts, 1996), et les arbres sont intégrés dans la structure de la société, nos histoires et les cultures (Konijnendijk, 2008). Dans le cadre de ma propre recherche doctorale, la notion d’agence est traitée lorsque les arboristes négocient leur rôle de gardien nourricier de la forêt urbaine (Bardekjian, 2015). Ceci est important parce que nous accordons ainsi une valeur propre aux arbres en tant qu’organismes vivants, nonobstant ce qu’ils peuvent fournir aux êtres humains (comme des services) ou la tendance que nous avons à personnifier ou à anthropomorphiser les arbres. Les questions qui se posent comprennent :

question markComment nos émotions envers la forêt urbaine et les arbres peuvent-elles mieux desservir l’espace collectif?

Que pouvons-nous faire pour encourager les êtres humains à question mark
vouloir 
mieux comprendre les arbres en fonction des intérêts de ces derniers?

 

En gros, la foresterie urbaine est un acteur à plusieurs facettes/un réseau à plusieurs niveaux (voir Braverman, 2014; Perkins, 2007; Castree et MacMillan, 2001) qui comprend des acteurs sociaux, les narratifs qu’ils créent et la forêt urbaine même.

4Mon dernier exemple porte sur les représentations créatives et les interventions artistiques. Des expressions individuelles et collectives de créativité, comme l’art visuel et la sculpture, la photographie, le film, les créations parlées, les installations artistiques (qui modifient le paysage urbain), se taillent une place toujours croissante dans la sensibilisation à la foresterie urbaine et les discussions à ce sujet. Mme Kathleen Vaughan (Ph. D.), professeure agrégée en éducation artistique à la Faculté des beaux-arts de l’Université Concordia, a examiné les forêts urbaines de points de vue interdisciplinaires et de la création artistique. Dans une exposition récente (Tissus urbains, 2015), les travaux de Mme Vaughan ont étudié les terres boisées urbaines de Montréal en cartographiant le mouvement à l’aide de mosaïques brodées avec du fil sur des tissus. Ses œuvres explorent comment la création artistique peut influer sur l’éducation et la participation environnementales futures.

Embroidered map
Figure 1 : Nel mezzo del cammin: Summit Woods (2013-14), broderie numérique et manuelle sur perçage à la main de laine / cachemire, 137 cm X 160 cm.

Voici d’autres exemples : Paula Meijerink (Ph. D.) – The Urban Forest, une installation dans le centre-ville de Montréal. Mme Meijerink est une architecte paysagère des Pays-Bas et une professeure invitée à l’Université de Montréal dont les travaux contestent les limites aménagées des espaces urbains (Figures 2a1 et 2a2); Sean Martindale – Outside the Planter Boxes (2010), un mouvement issu de Toronto qui essaie d’attirer l’attention des collectivités sur les jardinières négligées avec des interventions créatives (Figure 2b); et Noel Harding – Elevated Wetlands (1997), dans Taylor Creek Park à Toronto (Figure 2c). Ses œuvres à grande échelle d’art public en tant qu’infrastructure explorent les liens complexes entre la société et l’environnement. Les interventions artistiques peuvent avoir un grand impact; elles peuvent sensibiliser les gens en attirant l’attention sur des sujets politiques et sociaux, et inspirer ensuite l’action pour amener des changements.

Artistic installations
Figure 2 : Installations artistiques par divers artistes – photos. Source : Paula Meijerink (Ph. D.) – The Urban Forest (Figures 2a1 et 2a2); Sean Martindale – Outside the Planter Boxes (Figure 2b); et Noel Harding – Elevated Wetlands (Figure 2c).

Dans l’ensemble, la recherche prend de l’expansion pour inclure des sujets marginaux.

Nous observons ceci avec l’intégration des sciences sociales pour dévoiler les problèmes de justice sociale. Ces examens et contestations plus approfondis de la foresterie urbaine et, de façon plus vaste, de l’écologie urbaine, fournissent des perspectives uniques dans ce domaine mais de telles études sont rares au Canada. Une étude récente réalisée par Arbres Canada (Bardekjian, Kenney et Rosen, 2015) a révélé que les tendances en recherche se dirigent vers l’innovation et la valeur sociales. On s’intéresse à déterminer comment les groupes de revendication, les organismes à but non lucratif, les entreprises arboricoles et les municipalités collaborent pour assurer des pratiques de foresterie urbaine durables, l’élaboration de politiques et l’évolution dans ce secteur.

Le Réseau canadien de la forêt urbaine constitue un des systèmes et des outils qui sont présentement perfectionnés pour aider à produire et à partager des connaissances avec toutes les collectivités canadiennes. De plus, la Conférence canadienne sur la forêt urbaine (CCFU) favorise le dialogue sur divers sujets – la 12e CCFU se déroulera à Laval (Québec) du 26 au29 septembre 2016. Dans le cadre de ce blogue trimestriel, je discuterai plus à fond des sujets présentés dans cet article.

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Adrina C. Bardekjian, MFC, Ph. D.

Références
Bardekjian, A. (2015). Learning from Limbwalkers: Arborists’ stories in Southern Ontario’s urban forests (doctoral dissertation). York University, Toronto.
Bardekjian, A., Kenney, A., & Rosen, M. (2015). The state of Canada’s municipal forest and national municipal needs assessment surveys. Tree Canada and the Canadian Urban Forest Network.
Bickerstaff, K., Bulkeley, H., & Painter, J. (2009). Justice, nature and the city. International Journal of Urban and Regional Research, 33(3), 591-600.
Braverman, I. (2014). Urban trees and actor-network theory. In L. A. Sandberg, A. Bardekjian & S. Butt (Eds.), Urban forests, trees and greenspace: A political ecology perspective, (pp. 132-146). London, UK: Routledge.
Castree, N., & MacMillan, T. (2001). Dissolving dualisms: Actor-networks and the reimagination of nature. In N. Castree & B. Braun (Eds.), Social nature: Theory, practice, and politics, (pp. 208-224). Malden, MA: Blackwell Publishers.
Foster, J., & Sandberg, A. (2004). Friends or foe? Invasive species and public green space in Toronto. Geographical Review, 94(2), 178-198.
Heynen, N., Kaika, M., & Swyngedouw, E. (Eds.) (2006). In the Nature of Cities: Urban Political Ecology and the Politics of Urban Metabolism. London: Routledge.
Heynen, N., Kurtz, H.E. & Trauger, A.K., (2012). Food, Hunger and the City. Geography Compass. 6: 304-311.
Heynen, N., & Perkins, H. (2005). Scalar dialectics in green: Urban private property and the contradictions of the neoliberalization of nature. Capitalism Nature Socialism, 16(1), 99-113.
Heynen, N., Perkins, H., & Roy, P. (2006). The political ecology of uneven urban green space: The impact of political economy on race and ethnicity in producing environmental inequality in Milwaukee. Urban Affairs Review, 42, 3-25.
Jones, O., & Cloke, P. (2002). Tree Cultures: The Place of Trees and Trees in Their Place. New York, NY: Oxford.
McLain, R., Poe, M., Hurley, P., Lecompte-Mastenbrook, J., & Emery, M. (2012). Producing edible landscapes in Seattle’s urban forest. Urban Forestry & Urban Greening 11, 187– 194.
Peet, R., & Watts, M. (1996). Liberation ecologies: Environment, development, and social movements. London and New York: Routledge.
Perkins, H. (2007). Ecologies of actor-networks and (non)social labor within the urban political economies of nature. Geoforum, 38(6), 1152-1162.
Poe M., McLain, R., Emery, M., & Hurley, P. (2013). Urban forest justice and the rights to wild Foods, medicines, and materials in the city. Human Ecology, 41(3): 409-422.
Sandberg, L. A., Bardekjian, A., & Butt, S. (Eds.). (2014). Urban Forests, Trees and Greenspace: A Political Ecology Perspective. London: Routledge.
Whitehead, M. (2009). The wood for the trees: Ordinary environmental injustice and the everyday right to urban nature. International Journal of Urban and Regional Research, 33(3), 662-681.
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