Historique des forêts urbaines au Canada
Bardekjian, A. et Puric-Mladenovic, D. (2025). Historique des forêts urbaines au Canada. Dans Cultiver des villes vertes : Guide pratique de la foresterie urbaine au Canada. Arbres Canada. Repéré sur le site Web d’Arbres Canada : https://arbrescanada.ca/guide-foresterie-urbaine/historique-des-forets-urbaines-au-canada/

Points saillants
Colonisation des terres
Déforestation, changement d’usage des terres et colonies permanentes.
Évolution des pratiques
La foresterie urbaine a évolué, de la lutte contre les ravageurs à la gestion de problèmes plus vastes comme les infrastructures vertes, la gestion des ressources et les solutions climatiques naturelles.
Intérêt du public et intendance
Les préoccupations environnementales et sociales grandissantes ont renforcé l’intérêt du public pour les forêts urbaines, ce qui a permis davantage de mobilisation communautaire et d’initiatives d’intendance.
Développement constant
La foresterie urbaine au Canada évolue pour répondre à de nouveaux défis et tirer parti de nouvelles possibilités alors que les zones urbaines continuent de s’étendre.
L’histoire des forêts urbaines et de la foresterie au Canada ainsi que les relations entre les gens et les arbres urbains sont profondément ancrées dans l’environnement naturel et la diversité des valeurs culturelles de la population canadienne. L’intendance des terres et des forêts basée sur un profond respect du monde naturel et l’harmonie avec la nature est pratiquée par les peuples autochtones qui prennent soin des terres et des cours d’eau depuis des millénaires (Artelle et al., 2019). Des villes canadiennes ont été créées sur les territoires traditionnels ancestraux de Premières Nations, d’Inuits et de Métis, dont les droits affirment l’autorité à exercer leur propre jurisprudence et décisions sur ces terres (Reo et al., 2017; Artelle et al., 2019; Dietz et al., 2021; Moola et al., 2024).
Cependant, ces droits n’étaient pas reconnus par les colons anglais et français qui ont apporté leurs valeurs européennes d’usage des terres et modifié le territoire et les forêts de façon drastique. Ils ont dépouillé les peuples autochtones de leurs terres, de leurs ressources, de leurs droits, de leurs connaissances et de leur façon de gérer les terres (Youdelis et al., 2021; Mansuy et al., 2023; Townsend et Roth, 2023). Les colons européens considéraient les terres avant tout comme une ressource pour l’extraction et une possibilité de faire des profits à court terme. Cet état d’esprit a mené à de rapides changements et à la dégradation des forêts et des terres. Ce qui était auparavant un paysage luxuriant, riche de forêts et de terres humides, a été défiguré de façon permanente par la déforestation, l’extraction de ressources et l’établissement permanent de colonies, de villes, de villages et de fermes.
Les colons européens ont établi des villages et des petites villes permanents et ont introduit de nouvelles pratiques d’usage des terres : fermes, zones résidentielles, routes permanentes, chemins de fer, parcs, cimetières et zones industrielles, par exemple. Ces changements d’usage des terres, combinés à un siècle de déforestation et de dégradation intensives, ont entraîné des problèmes environnementaux comme l’érosion et la sédimentation des cours d’eau après quelques décennies de colonisation (par exemple, en Ontario à la fin des années 1800). Constatant le coût économique de la déforestation et de la dégradation environnementale, le premier mouvement de protection de la nature mené par le gouvernement est né en Ontario au tournant du XXe siècle. Les arbres, auparavant considérés uniquement pour la valeur de leur bois et les revenus associés, ont été reconnus pour leur importance en vue de stabiliser les sols, de protéger les habitations du vent, d’apporter de l’ombre, de prévenir la sédimentation des cours d’eau et d’apporter de la nourriture et une valeur esthétique près des habitations et des colonies. En raison des mauvaises conditions environnementales en milieu urbain, les citadins et citadines ont commencé à vouloir davantage d’espaces verts et à s’échapper dans les environs naturels en dehors des villes. C’est ainsi qu’on a créé certains des premiers parcs dans les centres urbains, ou à proximité, comme le parc Stanley à Vancouver (C.-B.) (1888), le parc High à Toronto (Ont.) (1873), le parc Mont-Royal à Montréal (Qc) (1876) et le parc Point Pleasant à Halifax (N.-É.) (1866). Ces premiers parcs urbains sont aujourd’hui iconiques et indispensables au tissu urbain de ces villes.
La création de parcs naturels et entretenus, la plantation d’arbres urbains et la pratique de l’aménagement paysager et de l’esthétique à l’européenne se sont répandues dans les villes et les villages au fil du temps. On plantait des arbres en ville pour l’ombre qu’ils apportaient, leurs propriétés exotiques et leur beauté. Ainsi, des groupes qui se consacraient au « verdissement urbain » ont commencé à se former dans les villes comme le groupe des parcs, des forêts et des loisirs de Toronto, créé en 1884 sous le nom de « Comité des promenades et jardins publics », ainsi que la Commission des parcs de Vancouver en 1886. À Ottawa, c’est un règlement entré en vigueur en 1869 qui a été la première mesure municipale liée aux arbres urbains (Dean, 2005).
Au début des années 1900, un champignon pathogène dévastateur appelé maladie hollandaise de l’orme (MHO) a fait son apparition au Canada et a décimé les ormes d’Amérique (Ulmus americana), l’un des arbres urbains les plus courants. C’est ainsi que de nombreuses villes de l’Est du Canada ont perdu leur couvert forestier, à l’époque principalement constitué d’ormes. À la suite de cette épidémie et de la perte de canopée dans les régions de l’est du pays, la population et les personnes au pouvoir ont commencé à réaliser le grand vide laissé par les nombreux arbres perdus dans leurs localités. L’ampleur de la perte de canopée causée par un seul pathogène a également souligné le risque d’une sélection d’espèces limitées et la vulnérabilité liée à la plantation en trop grand nombre d’une même espèce. Elle a par ailleurs mis en lumière la nécessité de gérer stratégiquement les arbres et les parcs urbains pour empêcher de telles catastrophes à l’avenir.
Dans les années 1960, cette vulnérabilité a été reconnue par un pathologiste forestier avant-gardiste, Erik Jorgensen, qui menait des recherches sur les maladies touchant les arbres, y compris la MHO, à l’Université de Toronto. Pendant près d’une décennie, il s’est notamment penché sur les mesures de prévention et de protection des arbres. Dans les années 1950, il estimait que 90 % des arbres du campus St. George de l’Université de Toronto étaient des ormes d’Amérique (Ulmus americana) susceptibles d’être touchés par la MHO (Dean, 2009). En tant que chercheur, il a assisté à la dévastation causée par cette maladie tout en reconnaissant que le problème aurait pu être atténué en gérant et en entretenant les arbres correctement. Jorgensen et le brigadier J. F. Westhead ont fait pression sur les élus et les représentants municipaux pour faire front uni contre la MHO en établissant le Comité de lutte contre la maladie hollandaise de l’orme du Grand Toronto en 1962.
Au final, la perte d’ormes et de canopée en milieu urbain était telle que Jorgensen a créé le terme « foresterie urbaine » en 1974 et mis sur pied le premier programme en la matière à l’Université de Toronto. Une fois définies, les forêts urbaines sont devenues plus reconnues et des services de gestion des arbres urbains ou d’autres départements similaires ont vu le jour dans de grandes villes, comme Toronto en 1965 et Montréal en 1977 (Jorgensen, 1974; Desbiens, 1998). Ces services portaient différents noms (par exemple, parcs et aires récréatives), mais ils ont donné naissance à la pratique de la « foresterie urbaine » et aux activités connexes. Dans plusieurs villes, ces services ont depuis changé de nom et sont aujourd’hui des services de foresterie urbaine. Dans d’autres villes, on pratique la « foresterie urbaine » au sein de différents services municipaux (Puric-Mladenovic et Bardekjian, 2023) ou agences de la ville. Par exemple, les forêts urbaines et les arbres d’Ottawa sont gérés par plusieurs entités dont la Commission de la capitale nationale, le ministère fédéral des Transports, Hydro Ottawa, le Service de la planification, de l’infrastructure et du développement économique et le Service des travaux publics et des services environnementaux, pour n’en citer que quelques-unes (Bider, 2024).
Au milieu des années 1970, alors que la foresterie urbaine s’étendait aux plus grandes municipalités, le Comité de lutte contre la maladie hollandaise de l’orme de Toronto (dirigé par Jorgensen) est devenu l’Ontario Shade Tree Council, un réseau provincial avec le mandat plus vaste de gérer les arbres dans la zone urbaine (Dean, 2009). C’est à peu près au même moment que le premier programme fédéral de foresterie urbaine a été lancé : « A Forest for Man » (une forêt pour les êtres humains). Bien que le programme n’ait duré que jusqu’en 1979, le mouvement s’est poursuivi avec la première conférence internationale sur les forêts urbaines la même année, à l’Université Laval (Rosen et Arbres Canada, 2015).
Dans les deux décennies qui ont suivi, même si de nombreuses municipalités canadiennes avaient développé des services de foresterie urbaine ou liés à la foresterie urbaine, il y avait toujours un manque de cohésion à l’échelle provinciale et nationale. Pour combler cette lacune, on a créé une ONG appelée Arbres Canada en 1992 (Arbres Canada, 2024). Seule ONG nationale avec un mandat lié à la foresterie urbaine, Arbres Canada s’est associée à l’Ontario Shade Tree Council ainsi qu’à des professionnel·les spécialisé·es en foresterie urbaine au Canada pour organiser la première Conférence canadienne sur la forêt urbaine (CCFU) en 1993 à Winnipeg, au Manitoba. Arbres Canada a continué à organiser des conférences tous les deux ans afin de permettre aux spécialistes des quatre coins du pays de se réunir et de partager les dernières innovations et connaissances en matière de pratiques, de politiques et de recherches dans le domaine de la foresterie urbaine (Arbres Canada, 2024; Arbres Canada, 1993). À la suite de la cinquième CCFU en 2003, on a mis en place le Réseau canadien de la forêt urbaine (RCFU) et créé une liste de diffusion (CANUFNET, 2024; RCFU, s. d.).
La foresterie urbaine a continué à évoluer au Canada des années 1990 au début des années 2000. Un autre rappel de la vulnérabilité des forêts urbaines s’est manifesté au début des années 2000 : l’agrile du frêne (AF) et la perte de frênes qui en a découlé en Ontario et au Québec. Une fois encore, la disparition d’arbres urbains a suscité un vif intérêt pour la protection des arbres, ce qui a donné naissance à d’autres programmes de foresterie urbaine dans les municipalités. De plus, les forêts urbaines et la foresterie urbaine ont été intégrées pour la première fois à la Stratégie nationale sur la forêt du Canada 2003-2008 (SNF, 2003). Depuis 2010, le domaine de la foresterie urbaine n’a cessé de croître au Canada. Environ 50 % des municipalités de plus de 3 000 personnes financent une forme ou une autre de service de foresterie urbaine ou de verdissement urbain (Puric-Mladenovic et Bardekjian, 2023).
Alors que de nouveaux défis environnementaux et sociaux se manifestent en milieu urbain au Canada, l’intérêt de la population pour la protection des forêts urbaines et les initiatives d’intendance communautaire des arbres sont en pleine croissance. Les objectifs et les valeurs de la foresterie urbaine sont en constante évolution. Ce qui a commencé comme une réponse à la lutte contre les ravageurs inclut aujourd’hui différents aspects des arbres urbains, leur valeur et leur gestion. De nouvelles questions ont été soulevées comme les infrastructures vertes, la gestion des ressources impliquant les arbres et les solutions climatiques naturelles. La foresterie urbaine au Canada a une histoire riche et elle continue de se développer à mesure de la croissance et de l’intensification des zones urbaines ainsi que de la sensibilisation du public aux arbres et aux forêts urbaines.
Ressources
Ressources
- Andresen, J. W. et Swaigen, J. (1978). Urban tree and forest legislation in Ontario (No. 0-X–282). Service canadien des forêts.
- Artelle, K. A., Zurba, M., Bhattacharyya, J., Chan, D. E., Brown, K., Housty, J. et al. (2019). Supporting resurgent indigenous-led governance: a nascent mechanism for just and effective conservation. Biological Conservation, 240:108284.
- Association des architectes paysagistes du Canada. (s. d.). Ressources de la canopée urbaine.
- Réseau canadien de la forêt urbaine (CANUFNET). (2024). Serveur de liste du Réseau canadien de la forêt urbaine (RCFU).
- Réseau canadien de la forêt urbaine (RCFU). (s. d.). Réseau canadien de la forêt urbaine – Le plus grand réseau d’experts en foresterie urbaine au Canada.
- Dean, J. (2009). Seeing trees, thinking forests: Urban Forestry at the University of Toronto in the 1960s. Dans A. A. MacEachern et W. J. Turkel, Method and meaning in Canadian environmental history.
- Desbiens, E. (1988). Urban Forestry in Quebec. Journal of Agriculture, 14(1), 24-26. DOI :
- Dietz, S., Beazley, K. F., Lemieux, C. J., St Clair, C., Coristine, L., Higgs, E. et al. (2021). Emerging issues for protected and conserved areas in Canada. Facets 6, 1892–1921.
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- Mansuy, N., Staley, D., Alook, S., Parlee, B., Thomson, A., Littlechild, D. B. et al. (2023). Indigenous protected and conserved areas (IPCAs): Canada’s new path forward for biological and cultural conservation and indigenous well-being. Facets 8, 1–16.
- Moola, F., Jolly, H., Borah, J. et Roth, R. (2024) The potential for Indigenous-led conservation in urbanized landscapes in Canada. Frontiers in Human Dynamics, 6, 1340379.
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- Puric-Mladenovic, D. et Bardekjian, A. (2023). Canada’s Urban Forest Footprint: Mapping the extent and intensity of urban forestry activities. Forests in Settled & Urban Landscapes applied science and research lab. Faculté Daniels, Université de Toronto. Faculté d’architecture, de paysagisme et de design John H. Daniels, Université de Toronto.
- Reo, N. J., Whyte, K. P., McGregor, D., Smith, M. A. et Jenkins, J. F. (2017). Factors that support indigenous involvement in multi-actor environmental stewardship. AlterNative 13, 58–68.
- Rosen, M. et Arbres Canada. (2015). Une perspective historique des forêts urbaines au Canada. Dans Série sur les forêts urbaine: Volume I (p. 27–32).
- Townsend, J. et Roth, R. (2023). Indigenous and decolonial futures: indigenous protected and conserved areas as potential pathways of reconciliation. Frontiers in Human Dynamics, 5, 970.
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- Arbres Canada. (1993). Compte rendu de la première Conférence canadienne sur la forêt urbaine – Du 30 mai au 2 juin 1993. Association forestière canadienne : Ottawa.
- Youdelis, M., Townsend, J., Bhattacharyya, J., Moola, F. et Fobister, J. B. (2021). Decolonial conservation: establishing indigenous protected areas for future generations in the face of extractive capitalism. Journal of Political Ecology, 28:4716.